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Le nid de tisserins Eve Carter

L'arrivée en Afrique

Octobre 1984

Ce qui la saisit le plus à son arrivée, ce sont les odeurs. Lorsqu’elle franchit la porte de l’avion, elle se sent assaillie par l’air brûlant des réacteurs qui enveloppe tout son corps et emplit ses narines d’un mélange étouffant de kérosène, de feu de bois, de vase et d’océan. La situation de l’aéroport, elle le saura plus tard, est la réponse à ce mélange inattendu 

d’essences. Pour l’instant elle suit consciencieusement le flot des voyageurs qui se hâte vers les bâtiments modernes au bord de la piste. Sur la terrasse, en haut, règne une joyeuse animation. Des bras se tendent en lançant des signaux de bienvenue, des têtes noires et blanches laissent sortir des appels sous forme de prénoms, de cris.

Déjà, dans l’avion, elle avait été surprise par les couleurs bariolées du costume des hôtesses. Là encore, malgré la vitre fumée de la barrière de protection, cette terrasse est une vraie cacophonie de tons qui lui ravit les yeux.

Bien qu’elle ne connaisse pas du tout la tête de la personne qui doit l’accueillir, comme tous les autres voyageurs, tout en marchant, elle lance vers là haut des regards d’espoir. A côté d’elle, soudain, l’Africaine qui avait couvert sa tête d’une couverture lors de l’atterrissage, se met à crier en reconnaissant quelqu’un sur la terrasse. Et aussitôt, tout en avançant, une joyeuse conversation, mêlée de Aah, Iih aigus, s’engage avec un partenaire suspendu à plus de vingt mètres. Marion, étonnée mais pas gênée par  ce comportement expansif arrive enfin à la porte du bâtiment.

« BIENVENUE A ABIDJAN – AKWABA »   peut-on lire sur le fronton. A l’intérieur de la salle, c’est encore l’odeur qui la surprend. Un relent fauve, fort, qu’elle ne connaît pas, accentué sans doute par la chaleur moite qui n’est plus due aux réacteurs mais à la foule intense agglutinée derrière la barrière.

Trois files sont déjà formées vers les trois guichets de la police. Ce premier barrage passé, les passagers se retrouvent dans la salle des bagages devant un tapis roulant encore immobile.

Elle prend donc sagement sa place dans une queue lorsqu’elle voit se diriger vers elle un homme noir, énorme, en uniforme kaki, l’air menaçant ou en tous cas important, accompagné d’un « frère », plutôt fluet qui trottine à ses côtés. Ce dernier porte une chemise en pagne sur un pantalon gris, et la désigne du doigt. Malgré la chaleur et la sueur qui colle déjà ses vêtements, un frisson lui parcourt le dos. Qu’a-t-elle fait ? Pourquoi la montre-t-on à un policier ? Elle prend aussitôt son passeport, sa fiche de police, son carnet de vaccination, soigneusement rangés dans la poche avant de son sac depuis le départ et revérifiés vingt fois depuis.

_ Mademoiselle Durrieux ? Lui dit la chemise en pagne en tendant franchement la main, une rangée de dents étincelantes à l’appui.

_ Oui.

_ Je suis Constantin Koffi, votre futur assistant. Le professeur Maunier m’a délégué pour votre accueil. Voici le Lieutenant Kouadio qui va se charger des formalités.

Le géant « mangeur d’hommes », raide et manifestement fier de l’effet produit sur la jeune femme, tend une énorme main dans laquelle la sienne semble être une feuille de papyrus.

_Vos pièces, s’il vous plait, lui dit Kouadio.

_ Mes pièces ? Là, elle panique carrément en commençant à chercher nerveusement son porte-monnaie dans le fouillis de son sac.

Constantin, légèrement amusé lui désigne le passeport qu’elle tient serré dans sa main gauche.

_Hé ! Mais voilà vos pièces, confiez-les au Lieutenant et « vénez » avec nous.

Ne sachant si elle doit être inquiète ou fière, Marion quitte alors sa file de passagers non sans jeter un regard sur les yeux de ses voisins. Certains lui semblent envieux, d’autres, méprisants. Mais elle ne peut pas dire si ce m épris traduit la jalousie ou bien la bonne conscience de celui qui n’a rien à faire avec les flics, donc rien à se reprocher.

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